Mathieu Blanchard
Il est minuit aux Antilles. TransMartinique 2017.
Dernière mise à jour : 11 janv. 2019

TransMartinique - 2017 - 140km - 19h36 - 1er overall
Je me réveille, il fait très chaud, j'entends ce récital typique chanté par les grenouilles, une senteur de goyave me rassure, je me rendors.
Il est minuit aux Antilles.
30 ans plus tard, les batraciens fredonnent toujours leur mélodie, les arômes tropicales embaument la pièce, je me réveille.
Celui-là vérifie sa lumière frontale, celui-ci resserre ses lacets et celle-là sommeille à même le sol d’une bâtisse du Prêcheur. Sourires crispés, nous avançons vers l'arche. Malgré la nuit, la tension est aussi élevée que la chaleur. Les fumigènes s'enflamment. Quelques 200 Manikous sont lâchés en pleine nature.
Il est minuit aux Antilles.
Avec ses pentes abruptes, ses roches aiguisées et sa météo lunatique, la montagne Pelée nous laisse peu de répit. Il me faudra 1h25 pour vaincre ses 1250 m de dénivelé positif sur 8,5 km. Adulateur des descentes très accidentées, ce volcan me provoque. Je me penche en avant et l’affronte. Grisé par la vitesse, le Domaine de la Vallée km 14 est atteint après 2h en course. J’y retrouve mon crew, et rode efficacement le ravitaillement. Je pousse une immense feuille verte et m'invite dans la Jungle. Boue, racine, boue, humidité maximale, feuille, pluie, rivière, boue, vert, arbre mort, dessous, dessus, à cheval, sur les fesses, avec les mains, vert, une mygale, boue, pont suspendu, vert, boue, 50 km plus loin je trouve finalement la feuille de sortie.
La douche de Saint-Joseph km 53 me libère la peau de l’accumulation de boue après 7h53 de course.
Pas le moindre nuage dans le ciel, le soleil frappe fort dans la pleine du Lamentin. Je m’élance dans un four, étouffant labyrinthe de bananeraies et de champs de cannes à sucre. 10h50 plus tard, je suis accueilli au François km 80. Je prends le temps de bien me ravitailler, car la montagne des amoureux Morne Valentin qui suit n'est pas d’humeur à la délicatesse. Les pentes sont telles que même la marche est pénible. La chaleur de l'asphalte frappe mon visage, terrible ! Enfin l’inclinaison s'adoucit, mais Valentin me pousse dans l’ardeur de son voisin Vauclin. Le chemin du "Calvaire" est si raide que je n’ai plus le choix que de me hisser à l'huile de coude grâce à des cordes étendues. Sommet atteint, ouf, km 91, 12h41.
Se dessine désormais dans mon imagination une illusion de plages paradisiaques, sable blanc, cocotiers. Il parait que je me dirige véritablement vers cette ébauche. Je découvrirai ses premiers traits à Macabou, km 106, 14h49. Immense bonheur d’y retrouver mes proches, la magie du mental opère, je m'enivre de leur présence et redémarre survolté. Sous ses airs de paradis, cette portion sera douloureuse pour les Manikous. Le sable mou est accommodant pour lézarder au soleil en admirant les bleus de l'océan Atlantique, mais devient une matière hostile pour nos muscles éreintés. Cette portion m'épuise, je m'enlise ! Je la découpe en petite section de 10 km où je retrouve à chaque fois mes proches. Abreuvé par leur soutient et leurs sourires, je surmonte mon affaissement et saute dans la section suivante.
Cap Macré, "The Ravito", km112, 15h55. Camp sauvage monté annuellement, Fabrice en fait un grand rdv festif depuis 10 ans. Je suis accueilli avec une côte de bœuf, mes poursuivants auront un pot aux feu, les suivants des filets de morues, et leurs suivants une cuisse de sanglier. Mon hôte me propose un bon vin rouge, une bière et même un pastis, "Fabrice il me reste 30 km à faire ! Promis je reviens demain"
(je suis retourné le lendemain pour y déguster le pastis )
Crépuscule, un dernier stop à Anse Prune puis je fonce vers Saint-Anne. Mes pieds foulent un tapis rouge étendu au sol, les flashs scintillent, le ruban est déchiré à 19h36. Ils m'attendent, quelle émotion ! Des mots pour certains. Des câlins pour d'autres.
Je m'endors.
Il est minuit aux Antilles.
Trace strava: https://www.strava.com/activities/1309126738/overview


